The Dark Crystal : immersion dans un jeu de rôle sombre et féérique.
Cela va vous paraitre assez étonnant, mais chez Atmospherik.eu, que ce soit Bertrand ou moi-même, nous ne sommes pas très férus d’univers médiévaux fantastiques. Les quelques fois où nous avons joué à D&D se comptent sur les doigts d’une main, et la dernière session doit remonter à l’époque où l’acronyme était préfixé d’un A. Cela surprend toujours, ce dédain pour le medfan, sachant que nous avons choisi de partager notre passion du jeu de rôle au point d’en faire notre métier.
Maintenant, « ne pas être très férus » ne veut pas dire « haïr ». Simplement, nous sommes plus versés dans le contemporain, la science-fiction, et l’historique. Cela ne veut pas non plus dire que nous n’y jouons pas du tout. Je ne connais pas très bien l’univers de Warhammer, et n’ai jamais ressenti l’envie de le masteriser -chose rare pour un jeu de rôle !-. Mais rien ne me fait plus plaisir que d’être invité à une table de ce jeu, dont la couv évocatrice de la première édition, avec son nain bodybuildé à crête orange, continue de me faire rêver. Bertrand, lui, adore Conan. Il garde jalousement son exemplaire du jeu de rôle éponyme ; et d’ailleurs, s’il ne se décide pas un de ces jours à nous masteriser ne serait-ce qu’un one shot, je vais me voir dans l’obligation de le menacer de changer les serrures des bureaux pour lui en empêcher l’accès. Au-delà de ces deux exemples, nous avons bien sûr joué à plein d’autres jeux médiévaux fantastiques, surtout dans notre jeunesse, à commencer par l’œil Noir, véritable madeleine de Proust… Et même des vieux coucous mythiques, comme L’Ultime Épreuve.

1. De l’écran de cinoche…
Au rang des madeleines, et de la fantasy, il y a un univers qui n’a eu de cesse de me faire rêver depuis l’enfance : celui de The Dark Crystal. J’avais vu le film à sa sortie, en 1982. J’avais dix ans. Techniquement, à l’époque, le film était aussi ambitieux qu’impressionnant. Il faut dire que l’un des réalisateurs, Jim Henson, est le père des Muppets, et l’autre, Frank Oz, celui de Yoda. Certains aspects, particulièrement sombres, eu égard à mon âge à l’époque, m’avaient terrifiés. Mais j’avais adoré ce monde atypique, à la fois féérique et ténébreux. Encore actuellement, la bande originale figure parmi mes préférées.
Pour les néophytes, l’histoire de The Dark Crystal est la suivante : il y a mille ans sur Thra, deux races sont apparues après qu’un éclat du Cristal de Vérité ait été brisé. La première race, ce sont les Skeksès, créatures ressemblant à un hybride entre un crocodile et un rapace. Ils gardent jalousement le Cristal dans leur château, et s’en servent pour extraire la vie des malheureux Podlings –une race innocente et débonnaire-, et tenter d’atteindre l’immortalité. La seconde, ce sont les Mystiques –que je ne saurai définir autrement que comme des sortes de chameaux chevelus façon hippies !-, race bienveillante, emprunte de spiritualité. Le maître des Mystiques élève Jen, seul survivant de la race des Gelflings –petit elfe de la taille d’un enfant-. Les Skeksès avaient fais tuer tous les Gelflings, la prophétie prétendant qu’à la prochaine Grande Conjonction des trois soleils, c’est un Gelfling qui aurait sonné leur glas. Le maître des Mystiques meurt en même temps que l’empereur Skeksès, et Jen quitte la vallée pour accomplir son destin, qui bouleversera à jamais l’équilibre sur Thra…
On retrouve dans le film le principe de la quête, cher à tout univers med-fan. On y voit un jeune héros bienveillant, naïf, et en apparence faible, s’accomplir en même temps qu’il change le monde. C’est du level up, type D&D –mais sans loot : Thra reste un monde féérique !… Mais sombre-. L’exotisme de cette planète immerge et enchante : la caméra fait des travellings en pleine nature, révélant des créatures improbables au point qu’on ne sait si elles sont animales ou végétales. Les Garthims, sorte de scarabées géants, terrifiants et survitaminés, apparaissent en parfait bras armé des forces du mal. A chaque scène, on découvre quelque chose de nouveau dans cet univers si étrange et, pour ma part, si attachant.
Le film a donné naissance à une série Netflix. Même si je ne suis pas un dingue des effets numériques –je leur trouve un manque flagrant de poésie-, je dois reconnaitre que la technologie permet dorénavant une immersion totale et bienvenue dans le monde de Thra, nonobstant l’incroyable tour de force qu’a représenté le film en 1982. La narration de la série est intéressante. Chronologiquement, elle reprend les évènements avant le film, qui ont mené au génocide des Gelflings –alors très nombreux, à la solde des Skeksès, et répartis dans sept clans aux spécificités culturelles très intéressantes-. L’univers, par rapport au long métrage, y est surdéveloppé, et c’est très bien ainsi. Même si différent du film, j’ai adhéré et adoré.

2.… A celui du MJ.
C’est juste après cette période, nommé l’Age de la Révolution, que se déroule le jeu de rôle, ou plutôt le « jeu d’aventure » -c’est ainsi qu’il a été nommé- de The Dark Crystal. Une version dans la langue de Molière est sortie il y a quelques semaines. Moi, je n’ai pas pu attendre, et j’ai bondi sur la version anglaise il y a à peu près un an. C’est cette version anglaise qui est autopsiée ici. Le contenu est le même qu’en français, mais n’ayant pas encore vraiment comparé les deux, je ne sais pas si la numérotation des pages reste la même.
En bon rôliste, je n’achète pas le jeu uniquement pour le contenu, mais aussi pour l’apparence. Ne me faites pas croire que vous êtes différent ! Clairement dès le déballage la qualité est au rendez-vous. Certains pourraient être déçus par la petite taille du bouquin -22 x 15 cm, un peu plus grand qu’un A5 donc-, mais ce n’est pas du tout mon cas. Je considère que le jeu de rôle parfait est celui qui réussit à lier la beauté de l’objet littéraire à une manipulation aisée durant les sessions de jeu, sans avoir à l’abîmer. Pour le coup, The Dark Crystal atteint cette perfection. C’est avant tout un beau livre, avec une couverture aux logos enluminés, et avec trois signets de couleurs différentes. Mais c’est aussi un petit livre, qui prend peu de place derrière un écran, et dont on n’a pas besoin de tordre les pages pour pouvoir le lire, ou le faire tenir ouvert sur la table sans qu’il ne se referme. Les trois signets permettent qui plus est de naviguer aisément dans ce bel ouvrage.
La couverture amovible n’est pas seulement belle graphiquement : sa partie intérieure renferme la carte de Thra, impérative dans le cadre de la campagne proposée dans le jeu. Mais j’y reviendrai. Par contre, à mon goût, au su de sa nécessaire utilisation au cours de la campagne précitée, elle me parait un chouia trop petite. Un format A3, qui plus est sur un papier de finition parcheminée aurait plus d’impact. Chez Atmospherik, nous avons pallié à ce manque, en proposant à ceux qui le souhaitent de nous envoyer les cartes de l’univers d’heroic fantasy qu’ils masterisent, et nous les gravons sur cuir au format A4 ou A3. C’est ce que j’ai personnellement fais avec le monde Thra, en prévision de la masterisation de la campagne. Nous ne proposons pas de carte prédéterminée : nous pourrons vous graver sur cuir (et plus tard probablement sur bois) la carte de votre propre univers si vous le souhaitez. Sinon, la carte de Thra est reprise aussi à l’intérieur du livre, ce qui permet au MJ de laisser la version imprimée au dos de la couv aux joueurs, tout en pouvant la consulter dans le livre.

En plus de celles présentes avec le livre, le site de l’éditeur propose en téléchargement libre deux cartes du monde Thra : l’une pour les joueurs, l’autre pour le MJ. Aux personnages de décider où ils veulent aller, en toute liberté. Et l’aventure commence… !
Mais revenons à The Dark Crystal : sur 290 pages, les règles à proprement parler sont couvertes sur les 43 premières. Puis il y a un très bref descriptif de la planète Thra, sur 3 pages. Si le descriptif est si court, c’est parce que la campagne, qui commence page 46 et se termine page 249, détaille très précisément chaque endroit d’importance de Thra. La fin du livre inclue une trousse à outils listant équipement et créatures, ainsi qu’une galerie de photos reprenant des éléments du film et de la série –mais surtout de la série-.
3. La création des personnages :
La proposition du jeu est d’interpréter un Gelfling d’un des sept clans. Ces clans sont présentés dans la série, mais pas dans le film, où les deux personnages principaux sont les deux seuls Gelflings ayant survécu au génocide de leur ethnie. De magnifiques illustrations présentent l’accoutrement et le style de chaque clan. Sans certitude, j’imagine qu’il s’agit pour certains de dessins de préproduction ayant servi à la série. Tout ceci participe en tous cas à l’extrême beauté de l’ouvrage.
La proposition peut paraitre limitée : on ne peut jouer de Skeksès, de Podlings, ou quelle qu’autre créature que ce soit. Mais elle s’inscrit dans la démarche d’un livre unique, auto-suffisant : la création de personnages n’est là que pour alimenter la session zéro de la grosse campagne qui occupe la partie congrue du bouquin. Au même titre qu’il pourra créer des scénarios de son cru, un MJ inventif pourra contourner cette limite : les règles le permettent en partie. The Dark Crystal est conçu comme un livre one shot, sans ribambelle de suppléments, sourcebooks, aventures, campagnes : tout est dans le livre… Et c’est bien suffisant pour jouer… Pendant des centaines d’heures.

Chaque clan Gelfling a ses particularités. Interpréter un Grottan vous permet de voir dans le noir. Jouer un Drenchen vous permet de respirer sous l’eau. Etc… En plus de chaque trait principal lié au clan, chaque joueur choisit pour son personnage un trait secondaire. Par exemple un Drenchen peut nager aussi vite qu’un Échassier du Vent ne marche, si c’est le trait que son joueur sélectionne. Cela donne des personnages vraiment différenciés, et très complémentaires : la plupart des traits sont liés à l’environnement dans lequel le clan évolue. Sachant que la campagne est un long voyage sur Thra, tous les paysages sont rencontrés ; en conséquence tous les personnages vont avoir un rôle à jouer à un moment ou un autre, quel que soit le clan choisi. Il n’y a donc pas de clan à privilégier : chaque personnage utilisera sa particularité à un moment ou à un autre.
Je n’aurai pas sept joueurs à ma table, quand je masteriserai The Dark Crystal. Tout d’abord la taille de ma table ne le permettra pas. Et ensuite –et surtout-, sachant qu’une des plus grosses difficultés pour gérer une campagne, c’est de trouver un créneau où tout le monde est disponible, il parait évident qu’avoir sept joueurs avec des agendas concordants revient à faire preuve d’un optimisme manquant de lucidité. Je pense que je me limiterais à trois joueurs. Pour autant, je ferai créer sept personnages au total. Je ne doute pas que la quête risque d’être meurtrière, et les joueurs vont avoir besoin de persos de remplacement. Et puis il serait tellement dommage de ne pas savourer le fait de faire découvrir les spécificités de tous les clans Gelflings de Thra. Ainsi chaque joueur créera deux personnages, mais n’en interprétera qu’un seul –sauf s’il souhaite jouer les deux-. Ce personnage supplémentaire viendra en remplacement en cas de mort du personnage principal. Et en tant que MJ, pour accompagner les joueurs lors de la création, je créerais le septième personnage, au cas où un joueur perde deux personnages. Cela évite d’avoir à jongler avec les agendas de sept joueurs, tout en étant certain que les sept clans de Gelflings seront représentés.
Ensuite le joueur choisit deux compétences parmi une liste qui en totalise sept : Agility, Animals, Fighting, Scouting, etc… Pour chaque compétence choisie, le joueur sélectionne une spécialisation : Climbing, Athletics ou Reflexes dans le cas de Agility. Le nombre de compétences et de spécialisations augmente durant le jeu.

Pour humaniser –Gleflingiser ?- son personnage, le joueur choisir ensuite un défaut. Une liste est donnée, à titre indicatif –timide, hypocondriaque, lâche, etc…-. Les joueurs sont encouragés à créer leur propre défaut. Les auteurs proposent ensuite aux joueurs de ne pas arrêter définitivement l’apparence, l’équipement ou l’attitude de leurs personnages, mais de les faire découvrir au fur et à mesure des sessions de jeu. J’aime assez cette démarche, tant j’ai été confronté à des joueurs, tous jeux confondus, dont la description du personnage ne collait pas du tout à l’interprétation au fur et à mesure des sessions.
La création se conclue par « la convocation », en fait la session zéro qui introduit le début de la campagne. Les joueurs lancent 1D12 et extraient d’une table la raison pour laquelle ils se retrouvent dans la Vallée des Mystiques, au nord des Plaines de Spriton, au tout début de la campagne. La liste permet d’établir potentiellement des ponts avec le passé des personnages, et, si le MJ le souhaite, de faire aboutir des quêtes personnelles en même temps que la campagne. Un résultat de 10 sur 1D12 par exemple implique que le personnage est amnésique : la seule chose dont il se souvienne est de se réveiller dans la Vallée Mystique. Le MJ a alors toute liberté pour l’aider à inventer un passé.
Personnellement, je vais inverser, lors de la session zéro. Je vais commencer par masteriser aux joueurs le fait que leurs personnages se trouvent dans la Vallée des Mystiques pour répondre à une quête, et j’enchainerai par « pourquoi êtes-vous là ? » et « qui êtes-vous ? », pour lancer la création des personnages, et enchaîner sur la session un.

4. Le système de règles :
Le système est très simple, et proche de celui qu’on retrouve dans des jeux comme L’Empire des Cerisiers, ou le système Gumshoe : on lance 1D6 contre un seuil de difficulté qui va de 2 à 10+. Le dé utilisé varie en fonction de la créature -1D6 donc pour un Gelfling en bonne santé-. Si le niveau de difficulté est supérieur à 6, mais que le résultat du jet est 6, le joueur retente sa chance, mais cette fois avec 1D8, et ainsi de suite : si le résultat est 8, mais qu’il est toujours inférieur au niveau de difficulté, le joueur relance 1D10… Etc…
Les compétences permettent d’ajouter des bonus, de +1 à +3 en fonction du niveau de maitrise de la compétence. L’action en coopération permet d’additionner des bonus supplémentaires. L’équipement, les traits, et les défauts sont autant d’éléments qui font varier la teneur du jet. Un trait pourra par exemple permettre de lancer 2D6 au lieu d’un, et ne considérer que le résultat le plus haut. A l’inverse, un défaut pourra imposer de lancer 2D6 et ne garder que le résultat le plus faible. Des jets en opposition avec 1D6 et les bonus ou malus entre deux créatures permettent aussi la résolution d’actions.
Sans rentrer dans les détails du jeu, il y a des éléments qui permettent de ressentir la saveur de l’univers –particulièrement la série-, comme le Vliyaya, manipulation de l’essence individuelle générant des effets magiques. Le « Dreamfasting », -Jeune de Rêve en français ?- entre Gelflings est aussi possible. Là aussi, c’est un élément présent dans la série comme dans le film.
L’emploi de l’équipement est assez précis. Une liste complète –même si jamais vraiment exhaustive !- de matériel se trouve en fin de livre, dans la partie « Boite à Outils ». Un équipement permet d’améliorer un jet de dés lors de l’utilisation d’une compétence précise. Un matériel peut parfois n’être utilisé qu’à concurrence d’un certain nombre de fois, et cette durabilité est précisée si nécessaire. Même si cela permet une rotation plus importante d’artefacts, ce n’est pas toujours d’une logique totale. Par exemple, pourquoi une machette ne pourrait-elle être utilisée que deux fois ? Pourquoi un lance-pierre ne peut-il fonctionner que quatre fois ? Pire encore : le matos perd un point de durabilité même si le jet n’est pas utilisé, comme quand on lance 2D6, mais qu’on ne retient qu’un seul résultat. Le pendant positif de cette fort rapide obsolescence, c’est que les personnages peuvent choisir à peu près tout ce qu’ils souhaitent comme équipement au démarrage –dès lors que les choix sont rationnels-.
L’utilisation de la monnaie est assez limitée dans l’univers de The Dark Crystal. Les créatures préfèrent le troc d’outils ou de services. Il n’y a donc pas nécessité de tenir de migraineux comptes d’apothicaires entre pièces d’or, d’argent, de bronze. On part du postulat que les personnages ont assez d’argent pour les petites choses. L’idée me séduit assez, sachant d’une part que cela colle assez à l’idée que je me fais de Thra, et que d’autre part l’accumulation de loot et de thunes est l’un des aspects que je trouve les plus rebutants dans les jeux de rôle medfan.

5. Les combats :
Les personnages ont toujours l’initiative sur leurs ennemis. Trois compétences président à l’attaque : « Finesse » -en français dans le texte-, dès lors que l’agilité préside dans l’action ; « Marksmanship » pour toute arme de tir ou de lancer ; « Ferocity », quand c’est la force qui prédomine. Pour la défense, il y a deux compétences : « Reflexes » et « Block ». On peut se battre sans avoir sélectionné ces compétences à la création : on lance un dé sans aucun bonus. Les jets se font en opposition : le score le plus élevé a gagné. Cela va donc assez vite.
Quand une créature subit des dommages, elle diminue le niveau de son dé de créature. Les Gelflings commencent avec un D6, comme précisé plus haut. Après un coup porté avec succès sur un Gelfling, son dé de créature passe à un D4. A partir de cette première blessure, tous les jets se feront avec 1D4 plutôt qu’1D6. A la deuxième blessure, le joueur lance 1D12 sur la table de blessures. Ces blessures sont pour la plupart permanentes, comme la perte d’un œil. Un résultat de 1 entraine « le retour à Thra », à savoir la mort, et la création d’un nouveau personnage. Celui-ci bénéficiera toutefois de l’expérience du précédent. Les combats peuvent donc être très rapidement mortels. Évidemment, les soins et la guérison sont possibles.

6. La campagne :
Les pages qui suivent les règles recensent une présentation très sommaire du monde de Thra, et de l’époque à laquelle la campagne se déroule –entre la série et le film, donc-. Si cette description est très succincte, c’est parce que la campagne décrit chaque endroit d’importance de Thra, avec les rencontres et/ou les évènements qui s’y produisent dès lors que les personnages s’y rendent.
L’introduction retrouve les personnages dans la Vallée Mystique, alors qu’UrSu, le maître des Mystiques, les envoie rechercher sept graines de sept grands arbres, disséminés sur Thra. Ils ont 99 jours pour accomplir cette quête ; sinon une grande calamité frappera Thra. Chaque membre d’un clan Gelfling dispose d’une information spécifique, liée à la quête, et qui peut permettre à l’équipe de démarrer… Car Thra est très grand ! Par exemple, un Gelfling Drenchen saura que la plupart des membres de son clan vivent dans la ville de Grand Smerth, sise à l’intérieur d’un arbre gigantesque, Smerth-Staba.
J’ai un petit conseil à cet égard, même si c’est un surplus de travail pour le maitre de jeu : la série recense une partie des lieux présentés dans la campagne. Comme il parait plutôt évident que revoir la série est une nécessité avant de masteriser, imprimer -ou projeter via un vidéo projecteur- des screenshots extraits de la série, et montrer ces endroits, peut être du plus bel effet. Idéalement, envisager des morceaux de la bande originale distincts pour chaque type d’endroit, rajoutera au sentiment immersif. Maintenant, c’est clair : c’est beaucoup de boulot.
La liberté totale de déplacement rend la campagne d’autant plus immersive qu’elle nécessite somme toute peu de préparation pour le MJ –évidemment, « peu de temps » à l’échelle de la préparation d’une campagne est assez relatif !… Surtout si vous suivez mes conseils ci-dessus à la lettre-. Mais on est vraiment sur de la campagne bac à sable, et pas du tout toboggan. C’est particulièrement vrai du fait de « l’Assombrissement » que j’évoque plus bas.
La structure de ces déplacements est très bien pensée, en entonnoir. Une première double page montre une région de Thra, avec les différents lieux d’importance. Pour chacun de ces lieux, un renvoi à une autre page permet d’avoir des détails très précis sur l’endroit. Les allers retours entre ces différentes pages sont assez rapides, particulièrement grâce aux trois signets. Afin de ne pas être trop générique dès lors qu’une région entière est concernée, une table de rencontres ou d’évènements est ajoutée.
Idéalement, si comme moi on a besoin de beaucoup de préparation, on peut demander aux joueurs dans quelle région ils souhaitent se rendre lors de la prochaine séance, et tout mettre en place en conséquence. Il n’en reste pas moins vrai qu’un MJ adroit, en passant d’une page à l’autre, de la région entière aux endroits qui la constituent, pourrait s’en passer.

7. L’Assombrissement :
C’est, à mon goût, la merveilleuse trouvaille du jeu : The Darkening –je ne sais pas si je l’ai bien traduit- : « Thra tremble de douleur alors qu’un sombre poison coule en son cœur. Une à une, les régions succombent à l’inévitable corruption de l’Assombrissement. Les rivières deviennent acides, les animaux, agressifs, et les communautés se déchirent. Si cette corruption n’est pas ralentie ou stoppée, Thra sera réduite en poussière ». Cet Assombrissement, forme de développement des forces du mal ou du chaos, est aussi inévitable qu’irréversible. Les Gelflings le vivent jusque dans leur mental, peuplé de cauchemars.
La détermination des régions de Thra assujetties à l’Assombrissement passe par l’utilisation d’un outil uniquement à destination du MJ : le Calendrier Spirale. Ce calendrier, en forme de spirale comme son nom l’indique, liste chaque journée de la campagne, de un à quatre-vingt dix neuf, puisque c’est le nombre de jours dont les personnages disposent pour accomplir leur quête. A chaque jour qui passe, on avance d’une case. Or certaines cases sont assombries, indiquant que les personnages se trouvent dans une région victime de l’Assombrissement. Sur chaque double page détaillant chaque région, un paragraphe décrit ce qu’il s’y déroule si la zone est assombrie. Comme les personnages sont libres d’aller où ils veulent, l’Assombrissement de Thra est différent d’une masterisation de la campagne à une autre. Ce Calendrier Spirale, tout aussi joli à regarder que bien pensé, permet aussi de lister les régions passées « du côté obscur », pour le cas où les personnages y repasseraient. Un emplacement permet aussi de lister les PNJ importants rencontrés.

8. En conclusion : alors, ça vaut le coup ?
Tout d’abord, d’un point de vue purement esthétique, ne minaudons pas : il vous faut The Dark Crystal. C’est un super beau jeu de rôle, avec des cartes claires, bien faites, et parfois sur deux pages. Son petit format rend l’ouvrage d’autant plus indispensable que vous n’aurez pas l’excuse de ne plus avoir de place dans votre bibliothèque. C’est un beau livre, pour jouer, pour collectionner, et même pour les fans de The Dark Crystal qui ne sont pas rôlistes.
Comme tout univers féérique, Thra est un monde sans autre limite que l’imagination. On aurait pu, à foison, publier sourcebook sur sourcebook approfondissant telle ville, telle région, tel clan, telles créatures. C’est l’option choisie par la plupart des jeux de rôle aux thématiques connexes. Mais au-delà de la satisfaction à voir ses étagères bien remplies, l’utilité réelle de tant d’ouvrages reste discutable. En général, quand on utilise un sourcebook, c’est pour en extraire un petit fragment. On les utilise rarement en profondeur. The Dark Crystal, c’est le tout-en-un du jeu de rôle : les règles servent la campagne qui est incluse dans le livre. Vos étagères vous en remercieront.
Malgré tout, chaque région étant évoquée clairement, j’ai le sentiment qu’il n’y a pas grand-chose à rajouter. Avec ce seul livre, vous pouvez parcourir l’intégralité de Thra, sans avoir à inventer le territoire. Tout y est déjà. C’est un véritable tour de force, qui guide le MJ, tout en lui permettant de développer sa créativité.

Pour finir, ceux que la campagne rebute peuvent tout à fait extraire les quelques pages relatives à une région, et bâtir à travers les évènements et les rencontre relatées, un agréable one shot, voire dix, tant les possibilités sont vastes, aussi vastes que le monde de Thra.
Je vais proposer rapidement de masteriser la campagne dans les locaux d’Atmospherik. C’est un de mes grands projets rôlistes pour 2023. Si vous habitez dans le coin, ou que vous êtes prêts à chevaucher votre échassier du vent préféré, vous y serez le bienvenu ! Ceux qui me connaissent le savent : TOUS les joueurs sont bienvenus à ma table, et je prends un immense plaisir à en accueillir régulièrement de nouveaux. Et évidemment, comme d’habitude, nous allons disposer quelques petits éléments d’ambiance qui, en tous cas je l’espère, vous feront voyager sur cette autre planète qu’est Thra.
Thra est un univers particulier, très différent du Dungeonverse et autres lores connexes. Néanmoins, notre nappe pierre –ou bois, en fonction des gouts- sur la table de jeu sera du plus bel effet, ainsi que nos jeux de trois bougies led, un de nos écrans horrifiques –le plus naturaliste des trois-, le crâne de dragon –qui officiera merveilleusement en crâne de Skeksès-, le chevalier squelette (dont le gabarit le rapproche étonnement d’un Gelfling !, ou bien des sets de dés adaptés aux univers medfans, mettront directement joueurs et maitre de jeu dans l’ambiance.
Et puis, comme déjà évoqué, poser sur la table une carte en cuir, de qualité, présentant le monde de Thra sera le meilleur aide de jeu, et aussi le plus immersif. Sachant que la campagne est un voyage à travers toutes les contrées de ce merveilleux monde, on ne pourra pas faire mieux pour rendre la campagne inoubliable. Enfin, une fois la campagne terminée, ranger cette carte aux côtés du livre de règle –lui-même de toute beauté- sera du meilleur effet. Cela permettra au MJ de disposer d’un accessoire unique… Pour un jeu qui, se suffisant à lui-même, en manque hélas tout de même un peu.
Christophe Pavillon.
