« The Esoterrorists », jeu pionnier du système Gumshoe.

J’ai eu un très gros hiatus de quinze ans durant lesquels je n’ai pour ainsi dire pas touché au moindre dé. Il faut dire que je suis parti vivre à l’étranger, et les préoccupations liées au développement tant professionnel que familial, dans un contexte carrément différent, ont pris le dessus. Dans tous les cas, expatriation ou pas, les hiatus, ça arrive à de nombreux rôlistes. Dans mon cas, c’est d’autant plus justifié qu’on n’a plus vraiment autant besoin des sensations aventurières qu’offre notre merveilleuse passion, quand on a la chance de vivre dans un autre pays. D’ailleurs, n’en déplaise aux rôlistes pantouflards, il y a un lien très fort entre le voyage et le jeu de rôle. J’écrirai sûrement un article sur la question un de ces jours.

C’est Bertrand qui a ravivé la flamme du jeu de rôle : à l’occasion d’un passage en France, il y a quelques années, il a proposé de masteriser un one shot de Capitaine Vaudou. C’est l’évènement qui a redémarré un moteur endormi : cela fait un peu plus de cinq ans, et depuis, nous jouons aussi souvent que possible. Comme quoi, la passion était toujours là.

Durant ce très long laps de quinze ans –presqu’une génération !-, les auteurs de jeux de rôle ne m’ont pas attendu. Certains des jeux que nous aimions ont disparu, d’autres ont été transformés ; et surtout, quantités de nouvelles propositions de jeux ont fleuri. L’une des plus intéressantes, à mon humble goût, est le système Gumshoe, imaginé par Robin D. Laws, un éminent créateur de jeux de rôle et écrivain, qui officie depuis le début des années 90, et qui est d’origine canadienne. On lui doit notamment « Feng Shui », « Over the Edge », et des suppléments pour quantités de jeux très connus, avant qu’il ne lance le système Gumshoe, via « The Esoterrorists », en 2006. Aujourd’hui, je vous propose une analyse très personnelle de ce système, résolument différent de ce que je connaissais, à travers le jeu précité. Les photos présentes dans l’article sont celles de mes tables de jeu pour « The Esoterrorists ».

1/ Le Syndrome du vieux con.

Soyons honnête. Le plus dur n’est pas de s’accaparer un système de jeu innovant. Le plus dur, c’est de changer ses habitudes. Je suis un fervent utilisateur du système Chaosium, et ce depuis le milieu des années 80. Je trouve que la logique des règles tient la route, et que le D100 offre suffisamment de nuances dans ses résultats pour narrer des conséquences différentes en fonction du niveau de réussite. Par ailleurs, au-delà du Basic Roleplay, la plupart des jeux que je masterise utilise le D100 : par exemple « Judge Dredd GDW », « Star Trek FASA », ou « Timemaster » – avec sa table de résolution unique, propre à Pacesetter, qui n’est pas sans rappeler la Table de Résistance du système Chaosium, d’ailleurs-. Pour conclure, un des gros avantages des pourcentages, c’est que ça parle à tout le monde, du novice au vétéran. En conséquence, le D100, pour moi, c’est une paire de charentaises très confortable… Mais qui a toutefois vieilli. Gumshoe révolutionne tout cela.

C’est la proposition de jeu de « The Esoterrorists » qui m’a séduit –je ne m’étais pas intéressé au système- : les joueurs incarnent des enquêteurs d’élite qui, sous couvert d’une autre profession, utilisent leur savoir, leur expertise, et leurs contacts, afin de ralentir la fragilisation de la Membrane qui délimite le monde objectif –le nôtre-, et le monde subjectif –empli de créatures toutes plus abominables les unes que les autres-. Les personnages sont membres d’une société secrète bienveillante, l’Ordo Veritatis, qui les mandate pour lutter contre un complot mondial chaotique représenté par les Esoterroristes, -des cultistes qui s’entêtent à invoquer les monstres précités-. Bref, un bon gros jeu d’horreur contemporaine… Mais pas que.

Sorti en 2006, « The Esoterrorists » est très fortement influencé par les évènements du 11 septembre 2001, et leurs conséquences. Cela peut paraitre déroutant, sachant que Robin D. Laws est canadien, et que bon nombre de scénarios de « The Esoterrorists » sont situés dans l’insulaire et perfide Albion. Pourtant, l’influence des attentats du World Trade Center est telle que je recommande de situer la période du jeu entre 2003 et 2006, pour que l’ombre de l’évènement plane vraiment. Elle me parait essentielle au jeu. Le contexte de ces croyances, qu’elles soient religieuses ou politiques, qui s’affrontent, est au cœur de la thématique du jeu. Je ne sais pas si c’est un choix conscient chez l’auteur. Mais la géopolitique de l’époque se ressent. En fait, c’est à se demander, à la lecture d’un scénario comme « Operation Slaughterhouse » par exemple, si les abominations de l’ésoterrorisme ne sont pas une métaphore de l’horreur, bien réelle quant à elle, du terrorisme de l’époque. Clairement, si la proposition de jeu vous tente, ça va vous changer de Cthulhu, sans pour autant sombrer dans l’espionnage à la Tom Clancy ou Zero Dark Thirty. En fait, « The Esoterrorists » propose, enfin, une véritable alternative en terme de jeu de rôle d’horreur.

J’ai découvert l’univers : j’ai adoré. J’ai découvert le système de règles –nommément le système Gumshoe- : j’ai eu du mal. Il est simple, et très rapide à assimiler. Pourtant il m’a fallu le relire dix fois par m’accaparer cette simplicité. En résumé, et même si ça parait peut-être peu clair, le manque de mécanique s’avère tellement être une mécanique en soi que je n’arrivais pas à prendre de repère. Aucune des phases de recherche ne nécessite le moindre jet. Seules les scènes d’action l’imposent. Et dans le premier scénario que j’ai masterisé, il n’y a que deux scènes d’action, l’une sous forme de conduite d’une voiture trafiquée, et l’autre, en climax, à la fin de la quatrième et dernière session de jeu. Ce qui veut dire qu’il n’y a pour ainsi dire pas eu de jets de dés. Déroutant. Vous comprenez pourquoi « le manque de mécanique est une mécanique en soi ».

Je compose toujours mes écrans moi-même. En terme de contenu –côté MJ donc-, les écrans du commerce ne m’ont jamais offert les informations dont j’avais besoin –d’ailleurs, Bertrand et moi-même planchons sur des écrans modulables, que nous espérons proposer rapidement-. Pour ce qui est du décor, côté joueur, les écrans des jeux que je masterisais par le passé étaient souvent hideux. Beaucoup de progrès ont été fais en la matière, c’est une évidence. Mais comme je masterise essentiellement des vieux jeux, je n’ai pas vraiment le choix : je dois faire mes propres écrans pour offrir aux joueurs un décor sympa de leur côté. Toutefois, je serai malhonnête si je disais que ce sont là les raisons essentielles. En fait, si je fais mes écrans moi-même, c’est surtout que je suis un maitre de jeu super inquiet, et que j’ai besoin d’écrans qui recensent TOUTES les règles. Je ne plaisante pas : certains de mes écrans sont sur sept panneaux pour pouvoir lister toutes les armes, ou toutes les compétences et leurs spécificités. Je sais, c’est de la folie. Mais je suis comme ça. Et dans tous les cas c’est transparent pour les joueurs. Qui plus est, ça évite de plonger dans un bouquin de règles au beau milieu d’un combat, chose dont j’ai absolument horreur. Alors vous me direz « au milieu d’un combat, oublie les règles et improvise ! ». Ben oui. Mais si des auteurs de jeu de rôle ont créé un système, c’est pour donner une saveur particulière à un jeu. Et cette saveur, il me parait important de la conserver à ma table.

Imaginez mon embarras quand il a s’agit de songer à l’écran pour « The Esoterrorists ». Pour la première fois de ma carrière, je n’ai pas eu besoin d’écran, tant son contenu côté MJ aurait été rachitique. Mais pour autant, le système part d’un postulat tellement différent que tout ce qui se pratiquait au préalable, que j’ai eu du mal à m’y mettre. Pour masteriser « The Esoterrorists », il a pourtant bien fallu ; et au final je n’ai pas été déçu.

2/ Tout ça c’est bien beau, mais Gumshoe, c’est quoi ?

Le postulat de Gumshoe est simple : il part du principe que les personnages, cumulés, ont les niveaux d’expertise requis pour couvrir tous les domaines d’investigation nécessaires à l’accomplissement de l’enquête que le maitre du jeu va leur proposer de résoudre. Enoncé ainsi, les scénarios ont l’air d’être de la tarte. Que nenni. Simplement, les règles prévoient qu’on ne foire pas son jet au moment crucial –dés lors qu’il s’agit d’investigation uniquement : on peut le foirer lors d’un combat, et mourir-.

C’est peut-être moins le cas maintenant ; mais je vais vous parler d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaitre. En ce temps-là, les scénarios de jeu de rôle d’investigation –l’Appel de Cthulhu essentiellement- impliquaient toujours la découverte d’un indice ou d’une preuve cruciale permettant d’avancer. Généralement, la découverte de cet élément était conditionnée à la réussite d’un jet de dés –principalement « Library Use – Bibliothèque » ou « Spot Hidden – Trouver Objet Caché » -. Si le joueur ratait son jet, il ne trouvait pas l’indice, et quelle que soit l’adresse dont il avait fait preuve depuis le début, il foirait le scénario. Dans la plupart des cas, le maitre du jeu, dans sa grande miséricorde, faisait sienne et sacerdotale la sentence attribuée à Gygax proclamant que « les dés servent à faire du bruit derrière le paravent ». Et en conséquence, soit il donnait l’indice même si le jet était raté, soit il trouvait des subterfuges pour, au choix, faire relancer les dés autant de fois que nécessaire jusqu’à ce que ça passe, ou trouver une autre compétence pour refaire une tentative –là aussi jusqu’à ce que ça passe-, voire carrément refiler l’indice indispensable, malgré que le jet soit lamentablement foiré. D’autres maitres de jeu considéraient qu’un jet raté impliquait juste qu’on mette beaucoup plus de temps à tomber sur l’impérative info. Moi, en bon Gardien des Arcanes buté, je jouais –et continue de- jouer les dés à fond. Si c’est raté, c’est raté, quelle que soit l’intelligence ou l’interprétation des joueurs. Comme dans la vraie vie, quoi : tu peux avoir tout bien fait, et patatra, le coup du sort te fait échouer. Evidemment, si les joueurs ne sont pas au courant de cette pratique, ça peut les frustrer. Il faut être vigilant. Personnellement, ce que j’aime dans « l’Appel de Cthulhu », c’est que les personnages évoluent dans les vraies années 20 historiques, avec un twist horrifique. Et comme dans les vraies années 20 historiques, on peut rater une action, et mourir. Mais le réalisme de l’époque implique qu’on puisse rater son jet, et l’indice qui va avec. Et ce réalisme, j’y tiens, car il met d’autant plus en relief l’horreur cosmique. Mais si on prend une perspective purement ludique, d’un point de vue tant simulationniste que narratif, il y a un écueil dans cette histoire de gestion des indices à trouver pour avoir une chance de résoudre le scénario.

C’est ce fait acté dans les aventures d’investigation qui a poussé Robin D. Laws à imaginer et proposer une réelle alternative. Et il y est arrivé. C’est le cœur du système Gumshoe. Étymologiquement, Gumshoe veut dire littéralement « chaussure à semelle de crêpe ». C’est un terme d’argot anglais, pour désigner un enquêteur. C’est le synonyme, en argot, de « détective ». Le système est donc pensé pour de l’investigation. En conséquence il ne sera pas nécessairement adapté à d’autres propositions de jeux et d’univers. Quoi que.

Avant d’avancer, je tiens à préciser que je vais prendre pour seul exemple « The Esoterrorists », qui est le premier jeu utilisant le système Gumshoe – Detective. Pelgrane Press, l’éditeur, en a proposé d’autres : « Terreur », « Trail of Cthulhu », « Mutant City Blues », « Ashen Stars », « Night’s Black Agent », « Timewatch », « Bubblegumshoe », et « Sword & The Serpentine » –pour la première fois, orienté action-. Mais je n’ai hélas pas encore eu l’opportunité de les tester. Je vais toutefois m’attaquer à « Trail of Cthulhu », très bientôt. J’aimerai particulièrement découvrir « Sword & The Serpentine » : Gumshoe ayant été pensé pour des jeux d’investigation, je me demande comment les auteurs ont réussi à faire coller le système à un setting de cape et d’épée. N’étant pas féru de med-fan, si d’aventure un maitre de jeu dans mon coin masterise « Sword & The Serpentine », je suis preneur.

Pour reprendre, le postulat est donc là : tout élément impératif à l’avancée du scénario est obligatoirement trouvé par les personnages. Bim. Fini les jets de « Bibliothèque » ou « Trouver Objet Caché ». Et les règles sont élaborées dans ce sens. Mais ce n’est pas la seule problématique à laquelle Gumshoe souhaite répondre. Nous avons tous connu des parties de jeux de rôle avec des personnages hyper bien construits, et jouissant de domaines d’expertise très précis. Dans la plupart des cas, les joueurs sont assez frustrés, car ces domaines d’expertise sont tellement pointus qu’ils ne les utilisent pour ainsi dire pas. J’ai eu le cas sur une campagne carrière de « l’Appel de Cthulhu ». L’un de mes joueurs avait créé un professeur d’archéologie enseignant à Miskatonic University, et dont la spécialisation était la culture et le langage Mayas. Nous avons du jouer une quinzaine de scénarios. Je n’ai réussi à en trouver qu’un seul lié aux Mayas, issu de l’excellent –mais antédiluvien- supplément « La Terreur Venue des Etoiles » paru à l’époque chez Jeux Descartes. Certes, durant cette aventure, il a eu son heure de gloire. Mais le reste du temps, ses compétences Mayas ont pris la poussière. Robin D. Laws a imaginé une création de personnage et de scénarios anéantissant cette problématique. Et avec le système Gumshoe, chaque personnage peut briller, dans chaque scénario, à un moment venu.

3/ Les compétences d’investigation :

Le système est très simple. Les compétences sont séparées en deux catégories : les compétences d’investigation, et les compétences générales. Ces deux catégories ne fonctionnent pas exactement de la même façon. Les compétences générales sont regroupées en trois domaines : technique, interpersonnel, et académique. Du point de vue du système, cette distinction n’a pas d’importance. Elle a juste pour objectif d’offrir plus de lisibilité aux joueurs.

Pour ce qui est des compétences d’investigation, les joueurs disposent au départ d’un nombre de points à dispatcher. Plus les personnages sont nombreux, moins il y a de points par personnage. Pour une équipe de deux personnages, chaque joueur dispose de trente-deux points. Une équipe de cinq personnages ne disposera que de vingt points chacun. A chaque joueur de dépenser ces points dans les compétences d’investigation qu’il souhaite, et qui vont « d’Archéologie » jusqu’à « Médecine Légale », en passant par « Jargon Policier » ou « Réconfort ». Sur le principe, il vaut mieux avoir un niveau très bas dans chaque compétence, mais avoir un maximum d’entre elles. Et surtout, il faut s’assurer qu’ensemble, les personnages couvrent bien l’intégralité des compétences d’investigation. En fait, l’un des principes de base est là.

Ensuite, en cours de jeu, si un personnage cherche quelque chose, qu’il en fait la demande au maitre de jeu, et qu’il a la compétence adaptée -même avec un minimum de un point-, il trouve ! Tous les indices clés, qui permettent de faire avancer l’enquête, sont ainsi donnés aux joueurs. Ils peuvent aussi dépenser les points qu’ils ont dans chaque compétence pour obtenir des infos supplémentaires, mais ce n’est pas obligatoire pour conclure le scénario. Cela permet seulement d’avoir plus de clés de compréhensions. Sans être impératifs, ces dépenses sont très utiles. Dans un jeu comme « l’Appel de Cthulhu », il n’est pas rare que des investigateurs terminent un scénario sans en avoir compris la totalité des ramifications. Certes, cela fait partie de l’horreur du Mythe. Mais c’est potentiellement frustrant. Dans « The Esoterrorists », dépenser des points permet de relier les différents éléments de l’enquête, et de potentiellement comprendre la problématique surnaturelle dans toute sa complexité.

Comme toutes les compétences sont couvertes, d’une part les indices quels qu’ils soient sont obligatoirement trouvés, et d’autre part chaque personnage a son moment de mise en valeur, et chaque joueur son utilité. J’adhère à l’idée complètement. L’ennemi du maitre de jeu, c’est la frustration des joueurs. Et avoir des outils de simulation qui permettent de l’éviter, cela tient presque de la révolution… Alors que cela devrait couler de source. L’autre solution, c’est d’avoir systématiquement à sa table des joueurs proactifs. S’ils sont bons et impliqués, quel que soit le jeu et quelles que soient leurs compétences, si le maitre de jeu les accompagne correctement, le devant de la scène leur appartiendra à un moment ou à un autre. Maintenant, il y a autant de types de joueurs que d’individus, et cela peut aider des personnalités plus réservées à voir leur personnage se retrouver sous le feu des projecteurs.

Ce système oblige toutefois à créer tous les personnages en même temps, et à avoir la même équipe de joueurs, puisque la répartition des compétences ne peut pas être aléatoire. C’est un écueil, j’en conviens. C’est d’autant plus vrai me concernant, vu que j’adore accueillir constamment de nouveaux joueurs à ma table –même si c’est un bonheur de retrouver aussi de vieux joueurs-. Il y a deux façons d’y palier. La première, c’est de concevoir des personnages prétirés : toutes les compétences seront couvertes, et les joueurs sont interchangeables. Mais cette option est aussi valable pour n’importe quel autre jeu d’investigation. Et rien n’empêche, pour « l’Appel de Cthulhu », de proposer des personnages prétirés avec des compétences qui seront en parfaite adéquation avec les besoins du scénario joué. Personnellement, je le fais de plus en plus pour des one shots. La solution alternative, c’est de ne créer des prétirés qu’à travers leurs compétences, et laisser les joueurs bâtir l’ossature, l’identité, et le background qui va avec. Dans les deux cas, cela fonctionne.

La deuxième façon d’y palier, et qui est particulièrement adaptée à « The Esoterrorists », ce sont les contacts, les informateurs et le réseautage. Dans les jeux d’investigation conventionnels, les personnages passent des heures dans les bibliothèques, ou les archives de journaux, pour trouver les informations qui leur sont impératives. Dans « The Esoterrorists », si toutes les compétences ne sont pas couvertes, rien n’empêche de bénéficier de l’aide d’un contact à la CIA, ou d’un ami reporter qui vous doit une dette, ou encore d’un complotiste qui, sans prendre le devant de la scène, souhaite vous aiguiller dans vos enquêtes. C’est assez à l’image de ce qu’on voit dans les X-Files, et très proche de l’atmosphère de « The Esoterrorists ». Cela implique par contre que le maitre du jeu fasse le tour des personnages et de leurs compétences pour construire les PNJ nécessaires, ou que les joueurs soient suffisamment inventifs –et aient bien appréhendé le système- pour les improviser en cours de jeu. Encore une fois, nous sommes dans un jeu où le postulat de base est « si les joueurs ont besoin d’un indice impératif, les personnages le trouvent ». Donc tous les moyens sont bons pour arriver à cette fin.

4/ Les compétences générales :

Ces compétences servent à lutter contre l’adversité, et pas à découvrir des éléments clés de l’enquête. Pour celles-ci, soixante points sont alloués, à dispatcher. Il n’est nullement nécessaire que les personnages couvrent toutes les compétences. Au contraire, il vaut mieux que tous les personnages sachent se battre ou infiltrer discrètement une base d’opération des Esoterroristes.

Le système de résolution est très simple : on lance 1D6, et on réussit son action si le résultat est supérieur ou égal à un niveau de difficulté qui va de 2 à 8 –généralement 4-. Des modificateurs peuvent être ajoutés ou soustraits. Le système de combat n’est guère plus compliqué. Il en est même succinct, ce qui, à mon humble avis, colle très bien à un jeu dont la proposition est avant tout d’enquêter.

Comme pour chaque nouveau jeu, par souci de facilité –et pour palier aux immanquables problèmes de mémoire que l’âge charrie-, j’ai rédigé un résumé des règles durant la lecture. Et bien je n’ai tout simplement jamais vu un système de règles dont le résumé tenait en si peu de pages.

5/ L’équilibre mental :

C’est un peu un leitmotiv pour les jeux de rôle horrifiques : il y a de fortes chances que les personnages rencontrent un sort pire que la mort, à savoir la folie. Au risque de faire grincer pas mal de dents, je ne suis pas fan du système Chaosium dès lors que la Santé Mentale est concernée. C’est juste un compte-à-rebours, et la folie est spontanée dès lors qu’on atteint un certain niveau de points, alors qu’à mon goût, elle devrait être potentiellement plus progressive, mais aussi plus insidieuse que cela. J’y reviendrai probablement dans un autre article, car c’est un sujet qui me tient à cœur.

Dans le système Gumshoe, « Equilibre Mental » est une compétence générale. Le système de résolution est le même que pour les autres compétences générales : on lance 1D6, dont le résultat doit être supérieur ou égal à un seuil de difficulté –généralement de 4, pour l’Equilibre Mental-. Si le jet est raté, on perd des points d’Equilibre Mental. Quand le niveau est entre 0 et -5, le PJ est choqué. A partir de -6, il souffre d’une Maladie Mentale –si la cause du trouble est surnaturelle. Si elle est naturelle, il subit un SSPT-. A partir de -10, il est définitivement fou.

Il existe une table qui permet de déterminer de façon aléatoire la Maladie Mentale dont le personnage souffre. Jusque là, rien de révolutionnaire : depuis quarante piges, « l’Appel de Cthulhu » propose une table des phobies. Ce qui par contre est innovant, c’est que le maitre de jeu n’annonce pas directement au joueur « tu es paranoïaque », sous-entendant : « tu te débrouilles pour me l’interpréter correctement ». Au contraire, il ne dit rien au joueur concerné, le fait sortir de la pièce, et complote avec les autres joueurs pour qu’ils changent leur comportement à son égard. A son retour, ils doivent paraitre impassibles, donner le sentiment de lui cacher quelque chose, se communiquer discrètement entre eux des notes… Bref, la paranoïa du personnage touché ne va pas être jouée directement le joueur, mais à travers sa réaction l’attitude des autres joueurs, accompagnés par le maitre de jeu. Personnellement, je trouve cela super : le joueur sera d’autant plus sensible à la folie de son personnage. C’est une partie de jeu de rôle au sein de la partie de jeu de rôle. Et on peut aller encore plus loin dans l’interprétation, si on imagine deux personnages affublés de Maladies Mentales différentes à la même table !

Sur le principe, je trouve ça génial. Et cela se rapproche de l’idée que je me fais d’un système de Santé Mentale efficace. En théorie, c’est top. Maintenant, en pratique, pour que ça marche, cela impose d’avoir des joueurs proactifs, et surtout qui ne vont pas oublier d’interpréter les symptômes de la Maladie Mentale d’un autre joueur à la table. J’ai du mal à me convaincre que cela puisse fonctionner dans la durée : les joueurs ont tendance à se focaliser, bien naturellement, sur la résolution de l’histoire, et à oublier de rappeler la démence de l’un d’entre eux à travers leur interprétation. C’est donc parfait théoriquement. Et c’est un pas dans la bonne direction, en ce qui concerne la création d’une règle idéale pour la folie… Mais le pragmatisme oblige, à mon avis, à penser l’application de ce système uniquement sur le court terme. Après tout, pourquoi pas : jouer la folie sur un scénario entier, voire au-delà, risque d’être barbant pour tous.

6/ Alors, Gumshoe, ami ou ennemi ?

Pour quelqu’un qui a ses habitudes, Gumshoe déconcerte. Il faut avoir la capacité d’oublier les préceptes simulationistes usuels, pour en embrasser de nouveaux. Il faut oublier l’importance des jets de dés, et freiner leur systématisation. Il faut accepter que les personnages obtiennent les informations qu’ils souhaitent, en n’ayant pour ainsi dire rien d’autre à faire que de les demander. En fait, dans mon cas, l’effort vient surtout du maitre de jeu, et pas vraiment des joueurs ! Mais ce n’est pas très grave : mon objectif, c’est qu’ils s’amusent.

L’avantage, c’est que la quasi-réussite automatique du scénario –si on s’en tient à l’investigation, et pas aux risques durant les combats- permet d’accentuer les interprétations, les échanges, et les rencontres. A la différence de bons nombres de jeux de rôle, le système est si simple qu’avoir le bouquin de règles sur les cuisses est inutile. En tant que maitre du jeu, vous pourrez ainsi vous concentrer sur le scénario, l’ambiance, et les PNJ. C’est une aubaine, sachant que pour de nombreux MJ, la difficulté dans la découverte d’un jeu de rôle, c’est le temps passé à s’infuser les règles. Le jeu de rôle a pour base l’imaginaire. C’est la seule règle impérative pour pratiquer notre passion. Tout le reste est optionnel. Les systèmes de règles devraient en être le reflet. On ne devrait pas avoir à empiler des heures à les étudier. Gumshoe répond intrinsèquement à cette problématique, avec intelligence, et innovation. Cette nouveauté a été, dans le monde du jeu de rôle, une véritable prise de risque, qui a été couronnée de succès.

Pour autant, Gumshoe n’est a priori pas adapté à tous les jeux de rôle. C’est pour cela que le système est pensé et construit pour des jeux d’enquête. Dans des scénarios où les combats s’enchaînent, les joueurs pourront se plaindre du manque de détail dans les variations de coups donnés. Certes l’interprétation peut y palier. Mais le jeu ne se veut pas tactique, alors que c’est ce que les combats impliquent. Parfois, paradoxalement, une surenchère dans les règles de combat permet de plus facilement s’immerger. Je sais, cela parait antinomique. Mais nous en avons tous fais l’expérience, en souhaitant plus de précision dans des fights, au point de vouloir connaitre les distances entre opposants au décimètre près. C’est d’autant plus vrai quand on a la table des joueurs connaisseurs en matière d’armement, et qui exigent du système de règles qu’il relate avec exactitude les différences –anecdotiques pour les néophytes en armes- qu’il peut y avoir d’un flingue à un autre.

Dans tous les cas, que le système séduise ou non, c’est une découverte. Et Robin D. Laws a pris le pari d’offrir quelque chose de résolument inhabituel. Rien que pour cela, Gumshoe vaut le coup d’être tenté. Sans me séduire complètement, ce système me plait. Il y a peut-être, dans mon cas, très essentiellement un manque d’habitude : je n’ai pour l’instant masterisé qu’un scénar de « The Esoterrorists » sur quatre sessions de durée moyenne.

Le système m’a permis de changer mon appréciation quant à de nombreux éléments liés à la pratique du jeu de rôle. Paradoxalement, la création de personnage, qui parait très dirigée car elle impose un dispatch de compétences obligatoires, est plus libre que dans les systèmes traditionnels : ce n’est pas le nombre de points où le pourcentage qui détermine votre niveau d’expertise dans une compétence, mais le simple fait de l’avoir. Dès lors, tout le reste n’est plus que du roleplay, et c’est personnellement ce que je préfère. J’ai eu le sentiment que cela offrait plus de latitude aux joueurs.

Comme les actes, c’est toujours mieux que les paroles, je proposerai d’autres parties de « The Esoterrorists » dans un avenir proche. Si vous n’êtes pas trop loin des locaux d’Atmospherik.eu et que l’expérience vous tente, surveillez les annonces du blog, et invitez-vous ! Hein, quoi ? Oui bien sûr que c’est gratuit ! La seule obligation, c’est que vous apportiez un truc, même très simple, à boire ou à manger, qu’on mettra en commun. Car une des bases, lors d’une partie de jeu de rôle, c’est de partager. Ce n’est pas pour rien que ça a été un des premiers jeux de société collaboratif. D’ailleurs, c’est exactement dans cette démarche que le système Gumshoe a été envisagé.

 

Christophe Pavillon.

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