J’ai joué « le chariot des dieux » : le premier scénario pour Alien, le jeu de rôle.
C’est certainement stupide, mais j’avais un a priori plutôt négatif sur Alien, le jeu de rôle publié par Free League et traduit dans l’hexagone par Arkhane Asylum. J’avais acheté le pdf dans la langue de Ripley à sa sortie, mais au-delà de la beauté de la composition, je n’avais pas été emballé.
Ne vous y trompez pourtant pas : je suis un grand amateur de la série cinématographique. Le film original de Ridley Scott est pour moi un chef-d’œuvre absolu ; un film à la pureté extrême, dont on ne pourrait retirer la moindre scène, le moindre plan, la moindre image, sans aller vers l’amoindrissement. Et un chef d’œuvre narratif, c’est ça : une œuvre dont on ne peut plus rien enlever. Ici, on a un film dont l’équilibre est parfait, et où l’histoire, fort simple, est menée on ne peut plus efficacement. « Alien » pourrait être enseigné dans les écoles de cinéma, aux côtés de « Psychose » tant ils atteignent tous deux le même niveau de maitrise dans la simplicité. Et faire simple, même si ça n’en a pas l’air, cinématographiquement, c’est très compliqué ! Je serai un peu moins emphatique quant aux séquelles, même si la suite de James Cameron est une véritable madeleine de Proust.

« Je ne vous mentirai pas sur vos chances de survie mais… Vous avez ma sympathie. »
L’univers d’Alien, quel que soit le film -je suis avant tout cinéphile, et m’intéresse généralement peu aux univers étendus-, se limite toujours au bout d’un moment à une chasse au monstre –ou plus authentiquement à une chasse à l’humain par un ou des monstres-. Les contextes varient : vaisseau cargo, base coloniale, prison transformée en monastère pour détenus en quête de rédemption, station spatiale… Mais le pitch, fondamentalement, varie peu. Me concernant, « Prometheus » et « Alien Covenant » ont permis d’apporter une nouveauté à cette récurrence. Car dans ces deux films, le thème n’est pas la chasse au monstre, mais le rapport au créateur, et la recherche de celui-ci. Il y a un véritable sujet, qui nous renvoie tous, sous des dehors de science-fiction horrifique, à la relation individuelle que nous entretenons avec Dieu, ou avec la religion.
Dans ce cadre strictement cinématographique, quand on fait fi des romans, comic books, et autres, j’ai du mal à imaginer comment, sur le long terme, on peut offrir une proposition de jeu variée, et qui ouvre quantité de possibilités, tout en restant fidèle au thème central. Car à un moment ou à un autre, le scénario ou la campagne se transformeront obligatoirement en chasse au monstre, puisque Alien, au final, ce n’est que ça. Les défenseurs du jeu me répondent systématiquement que le lore décrit dans le jeu de rôle permet de s’évader de cela, tant il est décrit avec moult détails. Je ne peux qu’acquiescer à la seconde proposition, et me renfrogner à la première. En effet, le jeu permet de jouer dans l’univers d’Alien, fait d’exploration d’un monde galactique hostile, et de malversations entre mégacorporations hyper puissantes qui ne se soucient guère de la vie humaine, sans que cela ne tourne à la chasse au monstre précitée. Oui. C’est vrai. C’est possible. Mais dès lors ce n’est plus Alien, puisque, même si c’est dans le même univers, le thème principal a disparu. Vous qui aimez et défendez ce jeu : imaginez un film de la série Alien dont le scénario n’inclurait pas une chasse au xénomorphe. Vous seriez les premiers à dire « ce n’est pas un film de la série Alien ! ». Et j’ai du mal à démordre de ce constat.

Néanmoins, je dois bémoliser, car j’ai joué à Alien pour la première fois la semaine dernière, et même si mon avis concernant la chasse au xénomorphe reste le même, le jeu est génial. Cela faisait même très longtemps que je ne m’étais pas autant éclaté du côté illustré de l’écran –car normalement, je masterise, et ne joue pour ainsi dire jamais-. Face à cet enthousiasme, rare me concernant, je voulais donner mon sentiment sur ce merveilleux scénario qu’est « Le Chariot des Dieux ». Par contre, si vous êtes joueur, arrêtez votre lecture ici ! Il serait dommage que vous vous gâchiez le plaisir, si d’aventure, un meneur vous proposait de participer à ce scénario. Car je vais spoiler l’aventure à mort. C’est nécessaire pour en donner mon sentiment le plus exact.
« Et qu’est ce qu’on fait si une bestiole nous fonce dessus, on lui crache à la gueule ? »
Quand mon pote Christophe Texier m’a proposé de jouer à Alien, j’ai sauté sur l’occasion. Malgré que, comme je l’expliquais, l’univers me parait par essence limité si on respecte la thématique des films, je mourrais d’envie de tester cette ambiance si particulière, et que j’adore. Qui plus est, connaissant les talents narratifs de mon vieux pote, j’étais certain de passer un bon moment.

Comme tout rôliste, je suis l’actualité, et j’avais entendu parler de ce « Chariot des Dieux ». Je n’étais jamais rentré dans le détail du scénario, et n’avais pas regardé d’actual play –que je trouve en général chiant comme la pluie-. Ce que je savais du « Chariot des Dieux », c’est qu’il était fortement inspiré du premier film, et qu’il était donc mortel. J’adore le film, et son atmosphère. Une campagne sur ce thème me paraitrait très longue. Mais pour un one shot, j’ai foncé, tant le format est adapté.
Alien est un jeu d’ambiance. On en plaisantait autour de la table : c’est un Cthulhu galactique et claustrophobique sans tentacules. Christophe Texier, connaissant mon intérêt pour la mise en scène de parties de jeu de rôle, avait demandé à ce qu’on joue dans les stocks d’Atmospherik, lieu que j’ai transformé aussi en salle de jeu de rôle. J’avais disposé ça et là des nappes reprenant un fond cosmos, y projetant des lumières galactiques, le tout avec un éclairage tamisé, et des sonorités flippantes diffusées par une enceinte bluetooth extraterrestre. J’avais aussi installé mon vidéo projecteur, qui nous a été fort utile en termes d’immersion. Mais j’y reviendrai.
Nous avons eu à choisir parmi des personnages prétirés, qui sont tous des archétypes de la saga : le pilote, la capitaine de vaisseau, les deux mécanos, et l’agent de la compagnie Weyland Yutani. Immédiatement, j’ai eu le petit regret de voir qu’aucun prétiré ne permettait d’interpréter un synthétique –comme Ash, Bishop ou David dans les films-. Au-delà du regret, j’ai trouvé cela étonnant, tant c’est un élément incontournable de chaque film de la saga. Et puis je me suis dis que, sachant que « le Chariot des Dieux » est très fortement inspiré du premier film, il était fort probable que l’un des personnages prétirés soit un synthétique dissimulé. Alors j’ai fais l’âne devant le maitre de jeu, en lui disant « c’est dommage, j’aurai bien aimé jouer un synthétique ». Directement, il m’a proposé le personnage de Rye, une technicienne… Qui est en fait une synthétique dissimulé !
C’est un peu l’écueil, avec ces univers très finis. Dès lors que les auteurs de jeu souhaitent les respecter, ils font face à des joueurs qui connaissent suffisamment les univers en question pour prédire quantité de choses dans les scénarios. Pour que l’arc narratif colle à l’univers, le scénariste doit cocher un certain nombre de cases. Avec un peu de jugeote, le joueur peut hélas les deviner… Et cela gâche un peu le plaisir. Encore une fois, j’aime beaucoup Alien, mais je pense que c’est pour cela qu’en termes de masterisation, je m’orienterai plutôt vers Mothership, qui, pour une ambiance similaire, ne se raccroche à aucune mythologie pop précise.

Chaque prétiré, au-delà de qui il ou elle est -ou semble être-, se voit remettre un objectif personnel à atteindre à chacun des trois actes du scénario. Ma synthétique travaille pour une corpo concurrente de la Weyland Yutani. Son objectif personnel est de rapporter toutes les informations qu’elle peut sur les xénomorphes. Ces objectifs nous ont été remis autour de la table de jeu, au démarrage du scénario. Donc chaque joueur savait que tous les autres personnages avaient aussi un objectif à remplir. Certes, cela alimente potentiellement une certaine paranoïa, dès le démarrage. Pour autant, les personnages n’étant pas supposés savoir que les autres ont aussi des objectifs, j’aurai préféré que le scénario préconise la remise de ces objectifs secrètement, et individuellement, au préalable du scénario. Et je n’aurai remis des objectifs précis qu’aux personnages pour lesquels c’était vraiment nécessaire –comme le mien-. Mais le Capitaine Miller, qui commande l’USCSS Montero, vaisseau cargo dont nous étions l’équipage, n’avait pas vraiment besoin d’objectif personnel autre que de nous sortir de cette mauvaise aventure, ce qui était déjà sa fonction, objectif ou pas. Ainsi, sans objectif –qui plus est inutile- remis a priori du scénario, son joueur ne se serait pas douté que les autres personnages à bord avaient des missions inavouables. Fondamentalement, seuls deux prétirés, à mon avis, avaient besoin d’objectifs : l’agent de la compagnie Weyland Yutani, et mon personnage –la synthétique dissimulée, donc-. Pour les autres, la survie était bien suffisante. Sans objectif, ils se seraient plus focalisés sur les créatures.
Nous avons commencé le scénario. Pour cela, Christophe nous a projeté une introduction en vidéo. On la trouve sur Youtube, et je vous la glisse ci-dessous. Je vous laisse la regarder :
Au bout des cinq minutes qu’ont duré cette présentation, nous étions complètement dans le bain. D’autant plus que, comme précisé, j’avais aménagé la salle de jeu pour que l’immersion soit à son paroxysme. Mais là encore, j’ai tiqué. Le vaisseau dans lequel nous évoluons, à savoir l’USCSS Montero, est exactement le même que le Nostromo du premier film. Certes, c’est sur le principe sympathique… Mais il est dommage que les plans de l’introduction vidéo présentent exactement les mêmes angles que dans le film, avec les mêmes accessoires posés dans la cambuse ou sur la passerelle. On a vraiment le sentiment d’être à bord du Nostromo, en ayant pris pour seul soin d’en changer le nom. Ce n’est tout de même pas très inventif… Et cela sent aussi le produit marketing à plein nez. On se demande si l’auteur a peur de décevoir la fanbase. Je vous rassure, ce n’est là qu’une première impression, car « le Chariot des Dieux » est un très bon scénario. Alors faites comme moi : ne vous arrêtez surtout pas à cet a priori négatif !
Pendant presque toute la première heure de jeu, le fait de rejouer le scénario du film de Ridley Scott a perduré : l’équipage se réveille d’hypersommeil pour se rendre compte que le vaisseau a été dévié, et a ordre d’explorer un vaisseau fantôme, disparu il y a 70 ans, et qui git à proximité. La seule variation avec le synopsis d’Alien, c’est que nous devions explorer un vaisseau « connu » plutôt qu’une ruine extraterrestre sur une planète orbitant non loin de là. Mais au su de la thématique, nous nous doutions que, comme dans le film, nous allions y rencontrer de terribles créatures. On en revient au même constat : l’univers fini rend, par définition, les scénarios partiellement prédictibles.
Et puis, les choses ont évolué. Le vaisseau que nous avons fini par explorer s’avère être un jumeau du Prometheus. Et la suite de l’histoire du scénario se rapproche plus de ce dernier que d’Alien. En fait, et c’est pour cela que je suis revenu de ma première impression, il y a du génie dans la démarche : le scénario « le Chariot des Dieux » propose d’être le chaînon manquant entre « Prometheus » et « Alien », ce qui, à mon humble avis, fait défaut dans la saga cinématographique. Le problème, c’est que quand on connait bien « Prometheus », on sait à quoi s’attendre.
« Je propose qu’on décolle et qu’on fasse sauter une charge nucléaire. Là au moins on sera sûr du résultat ! »
La suite et fin, je vous laisse l’imaginer : nous arrivons sur le vaisseau, et luttons contre le virus de « Prometheus » en même temps que les néomorphes du même film. Même si la tension était palpable, quand on connait les films, il y a peu de surprise. Mais ce n’est pas essentiel, étonnement ! Ce qui est important, c’est que l’ambiance est tellement bien retranscrite que les joueurs se retrouvent complètement immergés dans l’histoire. Je vais même aller plus loin : quand on connait les films et qu’on sait que les chances de survie sont limitées, la tension est d’autant plus intense –nonobstant le spoiler, donc-.
Je ne vais pas rentrer dans le détail des règles, car, ne masterisant pas, je n’en connais que la surface. Elles n’en restent pas moins simples, abordables très rapidement, et particulièrement bien imaginées. Le système se rapproche un peu de celui de « Vampire – La Mascarade » : on lance un pool de dés –des D6 dans Alien-, et on compte une réussite par 6 obtenu. Une seule réussite est suffisante pour accomplir une action. Par contre on accumule du stress au fur et à mesure de l’aventure. Et ce stress se matérialise par des dés de couleur différente –jaune pour ceux proposés par Arkhane Asylum-, et dont le chiffre 1 a été remplacé par un facehugger. Si on tombe sur un facehugger, on rate son action, quel que soit le nombre de réussites. Et on prend le risque de paniquer. Ce système est tout simplement génial, et manque à quantité de jeux. Pour exemple, « L’Appel de Cthulhu » permet une gestion de la santé mentale, mais pas du stress… Alors que celui-ci devrait s’incrémenter au fur et à mesure des découvertes au fur et à mesure des investigations.
Le système m’a donc conquis. Les dés spécialement proposés par Arkhane sont certes un peu spartiates, et mériteraient peut-être un aspect un peu plus esthétique. Mais ils font le job. Ils sont clairs à la lecture, et proche de l’iconographie des films. Je trouve presque qu’il serait dommage de jouer sans eux.
Le final du scénario a été à la hauteur de l’introduction. Nous avons rebranché le vidéo projecteur, et diffusé le compte-à-rebours tel qu’il apparait à bord du Nostromo dans le premier film… L’immersion était à son apogée, et l’alarme retentissait à nous arracher les tympans, alors que les personnages tentaient de trouver un moyen de s’évader du vaisseau prêt à exploser. J’ai immortalisé une partie de cette scène mémorable :
En conclusion, Alien est un excellent jeu de rôle. Le système est simple sans être simpliste. C’est un jeu d’atmosphère à la force exceptionnelle. Mais, aussi excellent soit-il, ce n’est pas un jeu pour les meneurs qui souhaitent s’émanciper d’un univers. C’est bien évidemment possible, mais dès lors on s’éloigne de l’univers. C’est pour cela que je ne le masterisai pas, et que je vais plutôt m’intéresser à Mothership, qui lui est sans nul doute inférieur, mais qui a le mérite de l’imprévisibilité. Toutefois, qu’est-ce qui empêche d’aimer un jeu pour son ambiance, malgré sa prévisibilité ?
En parlant d’autres jeux de rôle de science-fiction, Christophe Texier nous avait fais parvenir une petite présentation de quelques pages sur l’univers, incluant l’espace connu, les dangers, les megacorporations. Avec une surprise totale, j’y ai retrouvé tous les aspects majeurs de l’univers d’un vieux jeu de rôle de science-fiction : Star Frontiers. Dans Alien comme dans Star Frontiers, quelques corporations immensément puissantes semblent contrôler certains gouvernements, et sont omniprésentes à toutes les étapes du jeu. Dans les deux jeux, l’univers connu est assimilé à la Frontière, telle que les colons de l’Old West l’avait traversé, avec ses richesses, ses mystères, ses dangers. C’est assez étonnant, pour deux jeux fondamentalement si éloignés.

Ce qui est certain, c’est que même si je ne me voie pas masteriser Alien, pour toutes les raisons évoquées ci-dessus, je me suis rarement autant amusé à une table de jeu de rôle en tant que joueur. Bref, malgré son excellence, ce n’est pas un jeu pour moi en tant que MJ… Mais en tant que joueur, j’en redemande !!
Christophe Pavillon.